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Pour une autre politique de gestion des supporters

 
 
 
 

Pour une autre politique de gestion des supporters

le 01 April 2011

Pour une autre politique de gestion des supporters

Endeuillée par la mort de deux supporters français, la saison 2009-2010 de football a marqué, de l’aveu même du ministère de l’Intérieur, un tournant dans la lutte contre le hooliganisme. Procédant jusque là par à-coups, en réaction à des incidents médiatisés, cette lutte a gagné en constance et en cohérence ces derniers mois. Devenue une priorité, elle s’est concrétisée par la création d’une Division Nationale de Lutte contre le Hooliganisme, des dispositifs législatifs renforcés (dans le cadre de la loi anti-bandes puis bientôt de la LOPPSI 2), des sanctions accrues (nombreuses interdictions de stade et dissolutions d’associations de supporters) et une meilleure coordination entre pouvoirs sportifs et publics. On ne peut que se féliciter de la fermeté des autorités envers la violence, le racisme et les discriminations autour des matches de football et regretter qu’elle n’ait pas été appliquée plus tôt. Mais si les objectifs affichés sont louables, la méthode mérite d’être discutée d’autant que, contrairement à ce qu’affirment les autorités sportives et publiques, il n’existe pas une seule manière de traiter ces problèmes. En effet, la politique sécuritaire du gouvernement – qui privilégie la répression, les mesures proactives (comme les interdictions de stade) et la prévention situationnelle (via l’aménagement des stades et l’usage de la vidéosurveillance) tout en négligeant la prévention sociale – pose de sérieux problèmes. Elle ne suscite pourtant guère de débats, même si la gauche, en particulier le PCF, a contesté certaines mesures prévues par la LOPPSI 2.

 

Sécurité et libertés

Les supporters sont, dans leur ensemble, fortement stigmatisés et ceux d’entre eux qui ont des revendications constructives ne parviennent pas à se constituer en acteur social et à véhiculer un discours clair. Dans ces conditions, toute mesure répressive à leur encontre paraît largement acceptable. Cependant, leurs actes considérés comme des incidents sont beaucoup plus variés que ce que postulent les stéréotypes. Selon les données de l’Intérieur, plus des ¾ des incidents répertoriés entre 2006 et 2010 autour du football professionnel constituent des « attitudes proscrites d’un impact limité sur l’ordre public », 20 % forment des « incidents de premier degré » et environ 4 % des « incidents de second degré constitutifs de délits graves ou de crimes ». Or, l’étiquette globalisante de hooliganisme, le mot d’ordre de la tolérance zéro, la politique du chiffre et le recours préférentiel aux mesures administratives (au détriment des procédures judiciaires) conduisent à amalgamer ces faits de gravité pourtant très différente et à leur appliquer des sanctions similaires, d’où un risque de non-proportionnalité des peines.

Les interdictions de stade, mesure phare du dispositif, sont de deux types. Celles prononcées par la justice, d’une durée maximale de cinq ans, sont bien encadrées. En revanche, les interdictions administratives de stade (IAS) sont décidées par le préfet « lorsque, par son comportement d’ensemble à l’occasion de manifestations sportives ou par la commission d’un acte grave à l’occasion de l’une de ces manifestations, une personne constitue une menace pour l’ordre public », ce qui revient à prendre aussi en compte, selon une circulaire du ministère de l’Intérieur, des actes qui « ne constituent pas nécessairement des faits pénalement répréhensibles ». Si les IAS peuvent être utiles, en attendant les conclusions de la justice, la préférence affichée des pouvoirs publics pour ces sanctions par rapport aux judiciaires est problématique. En effet, le risque d’arbitraire est fort et va être accru par la LOPPSI 2 puisqu’une IAS pourra désormais s’appliquer à tout membre d’une association dissoute... De plus, ces IAS ne cessent de s’allonger : d’une durée limitée à trois mois lors de leur création en 2006, elles vont être portées par la LOPPSI 2 à un an voire deux ans en cas de récidive. Or, de nombreuses IAS ne concernent pas des faits de violence, mais l’excès d’alcool, l’usage festif de fumigènes ou la contestation des dirigeants du football.

La LOPPSI 2 prévoit également d’instaurer des mesures de couvre-feu permettant d’interdire des supporters de déplacement et de restreindre leur liberté d’aller et venir. Ce projet a été critiqué par les parlementaires de l’opposition dans leur saisine du conseil constitutionnel : ils estiment qu’il « va bien au-delà de ce que peut justifier la préservation de l’ordre public » et « porte en lui des risques trop importants pour les libertés individuelles » du fait notamment de l’imprécision du texte.

Ainsi, la politique actuelle de lutte contre le hooliganisme est confrontée à un premier problème, celui de la conciliation entre les impératifs de sécurité et le respect des libertés individuelles, d’autant qu’elle s’en prend aussi à des supporters non-violents et qu’elle conduit à exacerber les tensions entre policiers et supporters, ce qui a amené Patrick Mignon à plaider, dans une note publiée en mai dernier par la fondation Terra Nova, pour « une désescalade du couple violence-répression ». http://www.tnova.fr/note/pour-une-d-sescalade-des-r-ponses-s-curitaires-dans-le-football-un-mod-le-pour-les-questions-de-s-curit-urbaine

 

Sécurité et ambiance populaire

Cette politique sécuritaire pose un deuxième problème, car elle s’attaque, au-delà des hooligans, aux groupes de supporters contestant les transformations économiques du football, sans traiter de manière explicite la situation structurellement ambiguë des fans. Considérés comme l’indispensable douzième homme sans pour autant être reconnus par les instances, ils nouent des rapports plus ou moins sains avec leurs clubs, ce qui débouche régulièrement sur des tensions. Le rôle que jouent les supporters dans le monde du football mériterait donc d’être clarifié par une définition de leurs droits et devoirs, d’autant que leurs associations peuvent jouer – sous certaines conditions – un rôle social tout à fait constructif.

La tendance dominante parmi les dirigeants du football consiste à privilégier le client et à encadrer fortement l’expression des publics. Si les stades ne doivent pas être des défouloirs où tout excès est toléré, ils ne devraient pas non plus devenir des lieux de contrôle autoritaire des publics mais demeurer des espaces de fête collective. Dans un contexte également marqué par l’augmentation du prix des billets et la création de nouvelles enceintes sportives, la question des cultures populaires du football se trouve posée. Faut-il tendre vers un spectacle à l’américaine où le prix d’accès est élevé et le show formaté par les organisateurs ou convient-il au contraire de préserver des espaces d’expression autonome pour les supporters ?

La politique volontariste récente du PSG visant à résorber les tensions entre ses fans l’a conduit à se couper, au-delà des supporters violents, d’une partie de son public traditionnel. Cet effet pervers témoigne de la difficulté à concilier les exigences de sécurité avec la préservation de l’ambiance festive des stades et donc de la nécessité d’appréhender ces questions de manière globale en s’interrogeant sur le devenir du spectacle sportif.

 

Pour une politique globale

Avec Ludovic Lestrelin et Patrick Mignon, nous avons remis en octobre dernier au secrétariat d’Etat aux sports un « livre vert du supportérisme » visant à développer la politique préventive de gestion des supporters, aujourd’hui en jachère. Dans ce rapport, nous prônons une approche globale et transversale proche de celle adoptée par l’Allemagne. Cette politique ne se réduirait pas à la gestion des incidents, mais prendrait en compte le contexte du football dans son ensemble afin de désamorcer certaines tensions. Elle s’appuierait sur une répression ferme des comportements graves, mais la combinerait avec le dialogue et la prévention sociale. Elle préférerait au slogan de la tolérance zéro celui d’une réponse graduée, proportionnelle à la gravité des faits. Elle ne serait pas définie seulement par l’Intérieur mais associerait tous les acteurs concernés (ministères des Sports, de l’Intérieur, de la Justice, collectivités territoriales, clubs, instances sportives, associations de supporters). Elle se préoccuperait ainsi du rôle social du football et de la place qu’il doit occuper dans la société.

 

  1. Nicolas Hourcade est professeur agrégé de sciences sociales à l’Ecole Centrale de Lyon. Il est notamment l’auteur, avec Ludovic Lestrelin et Patrick Mignon, du Livre vert du supportérisme remis en octobre 2010 au secrétariat d’Etat aux sports (http://www.sports.gouv.fr/IMG/pdf/LivreVertSupporters_17x24_Int_web.pdf) et d’un article analysant les « principes et problèmes de la politique de lutte contre le hooliganisme en France », publié dans le n°32 des Archives de Politique Criminelle à l’automne 2010. Sur ces sujets, voir également la note de la fondation Terra Nova, « Changer ou disparaître : quel avenir pour le football ? », préparée par Arnaud Flanquart, Olivier Ferrand et Patrick Mignon : http://www.tnova.fr/note/partenariat-terra-nova-lib-ration-changer-ou-dispara-tre-quel-avenir-pour-le-football  

A propos de cette contribution

le 01 April 2011

 

Extrait

Ce texte est rédigé par Nicolas Hourcade(1), sociologue et membre de la rédaction de So Foot. Il fait suite à un débat organisé en décembre par le PCF sur la thématique « sécurité autour des matches de football et libertés publiques », en présence d’élus et de responsables du PCF, d’universitaires, de journalistes et de supporters. Dans la lignée du Livre vert du supportérisme remis en octobre dernier à la secrétaire d’Etat aux sports de l’époque, Rama Yade, l’objectif est, à travers une analyse de la situation et des propositions concrètes, de sensibiliser les différents partis à la nécessité d’une réflexion approfondie sur la sécurité autour des matches de football et, plus largement, sur le devenir du spectacle sportif, afin d’ouvrir un véritable débat politique sur ces questions.

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