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Nicolas Bonnet : Sport business ou sport émancipation, quel sport voulons nous ?

 
 
 
 

Nicolas Bonnet : Sport business ou sport émancipation, quel sport voulons nous ?

le 08 April 2011

Nicolas Bonnet : Sport business ou sport émancipation, quel sport voulons nous ?

 

La rentrée sportive dans les clubs s’effectue avec beaucoup de questionnement. Cette année encore, beaucoup de clubs sont dans l'incapacité d'accueillir tous ceux qui veulent s'y inscrire. De nombreux présidents et d’élus locaux expriment le besoin de plus d'installations, plus de salariés et plus de moyens pour les bénévoles qui accueillent les pratiquants. N’y a-t-il pas une certaine indécence quand dans le même temps le marché des transferts qui concernent une vingtaine de footballeurs professionnels atteints plusieurs centaines de millions d'euros ?

Il est donc grand temps de répondre à cette question : Quel sport voulons-nous ?

Celui du business, qui en fait une marchandise, avec son cortège de dopage, de violence, de tricherie, ou un sport porteur d'émancipation pour toutes et tous ?

 

Il ne s'agit pas d'opposer « amateur » et « professionnel », on ne construit pas une politique sportive à travers cette séparation. Il s'agit de questionner les idées qui fondent l'avenir du sport. Arnaud Lagardère a récemment donné sa position : « ce que je fais, ce n'est pas du mécénat, c'est un business à part entière ». Voila la volonté de certains. De son coté, le gouvernement se préoccupe avant tout « d’aider les clubs à assumer complètement leur mutation vers l’entreprise de spectacle sportif que la compétition économique et sportive exige»[1]. C’est écrit dans le rapport Besson, fil conducteur de tout ce qui a occupé le gouvernement ces dernières années. Dans son rapport, David Douillet[2] explique à son tour qu'il faut limiter les aléas sportifs et garantir aux investisseurs une certaine sécurité. C'est également le sens du projet de loi qui doit parachever cette mutation en permettant l’autonomie des ligues professionnelles vis-à-vis des fédérations. C'est-à-dire la fin de la solidarité entre amateur et professionnel, la fin de l’unité du mouvement sportif.

Le schéma est clair : le sport professionnel est placé entre les mains de marchands, le sport de haut niveau est sous la tutelle de l’Etat et le sport pour toutes et tous est confié aux collectivités territoriales qui sont invitées à se concentrer sur des missions de cohésion sociale.

D’ailleurs, avec la réforme des collectivités territoriales, si les communes n'ont plus de financements croisés, elles auront beaucoup de difficultés à financer seules la construction d'une piscine, d’un gymnase ou d'un stade.

 

Notre vision est toute autre. Nous n’acceptons pas ce piège de la réduction de l'intervention publique et l’abandon du sport à des marchands. Pour cela il faut affirmer clairement : Est-ce que le sport entre dans la catégorie des droits humains ?

Si oui, alors il faut une intervention publique réaffirmée avec des moyens humains et financiers à la hauteur. C’est à dire un Ministère avec un budget conséquent, des collectivités territoriales ayant les moyens d'intervenir avec des financements croisés et une loi définissant les responsabilités de chacun. Si c'est un droit, les règles du marché ne doivent pas s’appliquer à la pratique sportive. Sa spécificité doit être reconnue et protégée dans la législation nationale et européenne.

Si le sport est un droit, il faut rebâtir sa gouvernance pour qu’il soit l'affaire de tous, licenciés ou pas. Cela exige sa maîtrise par les hommes et les femmes qui le pratiquent avec la création d’une instance nationale de concertation et sa déclinaison locale.

 

L’émancipation par le sport doit être au cœur de notre projet car l’appropriation de chacune et de chacun de son corps, de son espace et de son environnement est fondamentale. L’appropriation des savoirs, des techniques, de la culture pour progresser est un élément essentiel pour sa propre liberté. Débattre de l’émancipation, c’est aussi réfléchir aux modifications du monde du travail et ses conséquences sur le temps des loisirs, c'est-à-dire la conquête « du temps libéré » et « des espaces libérés ».

Comme l’ont déjà fait Joffre Dumazedier[3], au sujet de la civilisation des loisirs et Norbert Elias[4] dans « sport et civilisation », notre réflexion doit s’élever au niveau de l’avenir des civilisations humaines, de leur objet et de leur but.

Nous devrions par exemple nous pencher sur l’évolution des compétitions et des performances et de la relation entre le progrès et les frontières de l’humanité. Lors de notre université d’été, Sébastien Fleuriel et Manuel Schotté[5] nous ont invités à réfléchir sur l’acceptation par notre société du statut précaire de la quasi-totalité des athlètes : « des prolétaires de la performance » liés à des agents par des contrats soumis aux résultats sportifs.

Le sport est à la croisée des chemins, il est donc urgent d’initier un débat pour permettre aux hommes et aux femmes de notre pays de s’en emparer.

 

Pour conclure, regardons cette belle image ; celles de ces professionnels et amateurs de la montagne qui ont escaladé les plus hauts sommets de notre pays pour afficher leur colère contre la politique gouvernementale. L’insurrection des consciences est là, partout. Je pense aussi aux actions locales organisées par des clubs comme à Bagneux et à Ivry sur Seine ou encore au travail du collectif « le sport est un droit ».

Jacques Rouyer, dans son dernier édito pour la revue Contre Pied[6] évoquait l’idée de « stimuler les résistances créatrices ». Il nous invite à une vision de l’activité physique et sportive comme une culture de résistance et de l’alternative. Résister, ce n’est pas seulement faire face, lutter, éviter le pire, ce doit être un moyen de se transformer, s’engager, s’enrichir et reconquérir. Si le mouvement sportif veut garder son indépendance et sa capacité d'initiative, si l'on veut ensemble assurer le droit au sport pour chacune et chacun, il va falloir mener le combat.

 

Nicolas Bonnet

Responsable de la commission sport du PCF


[1] Eric Besson, « Accroitre la compétitivité des clubs de football professionnel français », la Documentation française, novembre 2008.

[2] David Douillet, « l’Attractivité de la France pour l’organisation de grands évènements sportifs », la Documentation française, juillet 2010.

[3] Joffre Dumazedier, « Vers une civilisation du loisir ? », Seuil, Paris, 1962; réed 1972.

[4] Norbert Elias et Eric Dunning, « Sport et civilisation : La violence maîtrisée », Fayard, 1994.

[5] Sébastien Fleuriel et Manuel Schotté, « sportifs en danger. La condition des travailleurs sportifs », Editions du croquant, 2008.

[6] Jacques Rouyer, « EPS : la réussite de tous en échec ? », Contre Pied, Centre national d’étude et d’information EPS et société, n°25 mars 2010.

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le 08 April 2011

 

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