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Marion Fontaine "Football et classes populaires : un rapport ambigu"

 
 
 
 

Marion Fontaine "Football et classes populaires : un rapport ambigu"

le 01 avril 2011

Marion Fontaine

Que le football soit un jeu et un spectacle populaire, presque par essence, est un fait aujourd’hui quasiment incontesté. Il n’en a pourtant pas toujours été de même.

Si ce produit du milieu des très élitistes public schools devient, dès la fin du XIXe siècle, une part intégrante de la culture de la classe ouvrière britannique, jusqu’en 1914 au moins, cette popularité demeure une relative exception. Au Havre, à Barcelone, à Gênes ou encore à Munich, les premières équipes, très cosmopolites, rassemblent des élites fascinées par un nouveau sport qui semble le symbole de la modernité industrielle. En France comme en Allemagne, le fair-play, l’ouverture, le refus du chauvinisme défendus par ces premiers footballeurs s’opposent à une gymnastique beaucoup plus populaire. C’est en réalité la Première Guerre mondiale qui lance, à l’échelle européenne, puis internationale, le processus de popularisation du football. Ce processus se fonde sur l’acculturation aux loisirs de masse accélérée par le conflit ; sans doute porte-t-il également la trace de certains aspects de la culture de guerre (le culte de l’amitié virile, la volonté de retrouver, comme au front, la chaleur du groupe). Cela explique que cette popularisation dessine aussi la nationalisation du jeu, comme en témoigne par exemple la Coupe du Monde organisée par le régime de Mussolini en 1934.

Encore cette popularisation n’est-elle que relative, et soumise à d’amples discussions. En France, le football peine ainsi, jusque dans les années 1940, à apparaître comme le sport privilégié d’une classe ouvrière encore très éclatée, et parfois davantage sensible aux activités ludiques traditionnelles (de la gymnastique à la colombophilie) et surtout au sport populaire « roi » qu’est alors le cyclisme, et à son couronnement du Tour de France. Par ailleurs, la démocratisation du spectacle fait longtemps l’objet d’une perception ambivalente. L’introduction tardive du professionnalisme (qui n’est officialisé qu’en 1932) en est l’un des reflets. Derrière la crainte, déjà, d’un envahissement du football par l’argent se lit aussi l’opposition entre deux conceptions du sport : l’une fait de l’amateurisme, du jeu désintéressé le refuge et le privilège des élites : l’autre, en prenant acte du professionnalisme, accepte que les classes populaires puissent vraiment investir le football et en vivre. L’ambivalence est au même moment aussi sensible dans le regard porté sur les spectateurs. Parmi les dirigeants et les journalistes, se lit encore une véritable agoraphobie. Les nouvelles foules sportives, qui peu à peu occupent les stades, sont envisagées, au mieux avec indifférence, au pire avec une certaine méfiance et le regret des « vrais » spectateurs d’avant, connaisseurs et bons joueurs, opposés à la tourbe des partisans passionnés et préoccupés avant tout par la victoire de « leur » équipe.

Ces peurs et ces replis s’estompent peu à peu. A partir des années 1940-1950, la pratique du football est de plus en plus appropriée, notamment par le monde ouvrier, au point de devenir, pour une minorité, un facteur d’ascension sociale. Dans le même temps, la figure du supporter des « Populaires » est de plus acceptée et légitimée. Est-ce à dire pour autant que, depuis, le caractère populaire du football ne prête plus à aucune discussion ? Ce n’est en rien certain. Depuis la politique initiée en Grande-Bretagne par Margaret Thatcher au cours des années 1980, la réorganisation des stades a pu prendre pour prétexte la chasse au hooliganisme afin de faire à nouveau de l’accès aux tribunes un privilège. Certains des commentaires entourant la déroute de l’équipe de France au Mondial de 2010 ont témoigné, derrière la dénonciation des « brebis galeuses », de la stigmatisation perpétuée d’un monde populaire (en l’occurrence celui « cités »), accusé tout à la fois de manquer de discipline, et de patriotisme.

De quoi se dire, 150 ans après la naissance du football, que ce dernier continue à tenir moins de l’essence sociale que du lieu où se représentent les contradictions d’une société.

A propos de cette contribution

le 01 avril 2011

 

Extrait

Contribution de Marion Fontaine, historienne, Maître de conférence à l'université d'Avignon.

Que le football soit un jeu et un spectacle populaire, presque par essence, est un fait aujourd’hui quasiment incontesté. Il n’en a pourtant pas toujours été de même.

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