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estivales du Front de Gauche : entretien croisé Colette Bocher et Nina Charlier

L’université d’été du Front de Gauche qui s’est déroulée samedi 25 et dimanche 26 août sur le domaine universitaire de Saint- Martin-d ’Hères, Isère, avait inclus dans son programme fortement charpenté et exigeant un atelier intitulé : « Le sport, enjeu d’enjeu d’émancipation pour les femmes ».

Quoi de plus naturel que la commission Sport du PCF y contribue. Fondé sur une culture commune du débat, nourrit par les démarches de recherches, d’analyses et de concertations qui demeurent sans aucun doute aujourd’hui un acquis inégalé par d’autres formations politiques, la commission et ses membres font en sorte d’être présents pour écouter, entendre et comprendre, mais aussi pour apporter et partager. Présentes dans le débat animé par Élisabeth Legrand, Conseillère générale de l'Isère apparentée communiste, deux militantes féministes croisent leur regard et nous font vivre cet instant :

Nina Charlier, Pofesseure d’EPS, Syndicaliste du SNEP/FSU

Colette Bocher, membre de la commission sport du PCF, agrégée d’EPS, ancienne directrice de l’UNSS à Versailles

 

 

Pourquoi le sport des femmes est-il subversif ?

Nina Charlier :

Le sport demeure sous l’emprise de la sociabilité masculine. Il a fortement contribué à définir les contours de la virilité, apanage des hommes forts et séduisants, fer de lance de la domination du corps des hommes sur celui des femmes. Il s’exprime dans un domaine public qui n’est pas l’espace traditionnellement dévolu aux femmes. Comme en politique, il y a une lutte de visibilité. Rendre les femmes visibles dans le sport était jusqu’ici considéré comme une entorse à la bienséance. L’emprise de la société pour que l’espace familial reste l’espace des femmes, est le revers de la médaille de cette lutte. C’est ainsi que le sport, comme toutes les autres activités sociales, est sous l’emprise du genre. Pire même ! Car l’enjeu ne concerne pas que la visibilité. L’utilisation du corps, les conditions du jeu, les règlements, l’habillement, les compétitions l’affrontement, ont été des sources de conflits et des terrains de lutte sans cesse renouvelés.

A l’origine, les femmes ne pratiquaient que sous l’égide de la bienfaisance. Impossible pour elles de jouer en compétition officielle, gagner et obtenir des titres. Ni retirer le juste bénéfice de leur entrainement ou engagement. On perçoit cette orientation dans les « grandes courses populaires féminines » pour lutter contre le cancer du sein, ou la mucoviscidose par exemples. Événements où la presse ne tarit jamais ses éloges. Au cours du 20ème siècle, c’est dans un contexte très encadré que certaines activités se développent de manière plus favorable que d’autres : le tennis, activité de la bourgeoisie plutôt que le foot qui cumulait le handicap d’être pratiqué par des ouvrières rendant ainsi la démocratisation incertaine. Dans ce cas, c’est bien de double émancipation sociale et culturelle qu’il faut parler. Pour toutes ces raisons, ce sont les hommes qui dirigent le mouvement sportif féminin et qui lui imprime ses caractéristiques afin de préserver un espace spécifiquement masculin aux pratiques sportives. C’est sur la base de la différenciation des sexes que s’est construit le sport. Les « deux » sports ne pouvaient pas se ressembler.

Il y a aujourd’hui encore lutte entre la volonté émancipatrice des femmes et le rôle que la société patriarcale lui impose. Le sport peut être un des vecteurs de cette émancipation…

 

Quelles conditions réunir pour l'émancipation ?

Nina Charlier :

Isoler les pratiquantes des pratiquants n’œuvre pas pour une réduction des inégalités. Pratiquer les mêmes activités dans les mêmes conditions permettrait d’assurer un développement profitable aux femmes. Qu’elles soient techniques, tactique, physique les compétences sportives des femmes ont tout à gagner à la mixité. Les conditions vestimentaires, règlementaires, techniques ne devraient pas souffrir des « différences » trop souvent érigées en postulat indépassable. Pratiquer ensemble serait l’aboutissement logique d’une telle démarche afin que les femmes et les hommes accèdent à l’ensemble du patrimoine, sans discrimination de sexe ou de culture. Alors les stéréotypes qui génèrent exclusion et discrimination pourraient reculer afin que le corps des femmes ne soit plus soumis aux différentes formes de la domination masculine, habillement ou déshabillement.

 

Peut-on faire du sport une tribune pour l'égalité Homme- Femme ?

Nina Charlier :

Le sport peut alors devenir un laboratoire de l’égalité, mais à la condition expresse de tout mettre en œuvre pour que les femmes ne soient pas considérées que sous l’angle de développement esthétique ou de leur santé ou qu’elles soient soumises aux aléas culturels leur imposant tel code vestimentaire. On ne devrait pas admettre des pratiques qui trafiquent avec l’universalité, autorisent des particularismes qui agissent comme des réducteurs des pratiques en limitant les effets possibles de développement. De ce point de vue, la décision du CIO comme de la FIFA d’admettre des femmes voilées ne peut contribuer à l’émancipation par le sport. Au contraire, c’est une manière de dire aux femmes « vous voulez pratiquer, mais ce sont tout de même nous qui imposons nos conditions ».

Le sport féminin accuse encore du retard sur son homologue masculin. Il faut admettre l’absence endémique de dirigeantes sportives, l’incurie, voire (le sexisme des médias quand il s’agit de parler des femmes sportives, les inégalités d’accès persistantes à la totalité du champ sportif dans les mêmes conditions que les hommes. Et puis, cette lancinante question… toutes les conditions sont-elles acceptables pour les pratiquantes ? Si les JO ont été une tribune pour l’égalité (toutes les délégations comportaient au moins une femme et la presque totalité des épreuves étaient ouvertes aux femmes et aux hommes), le CIO a failli à sa mission en admettant que des femmes voilées puissent participer, organisant ainsi de fait une forme de pratique ségrégative.

Le sport des femmes accuse un tel retard, il faut considérer que le sport pouvait être un vecteur de l’émancipation des femmes. Et de l’émancipation à la subversion, il n’y a qu’un pas …

 

Comment le Front de Gauche et la commission sport du PCF peuvent-ils changer la donne?

Colette Bocher :

Les travaux du Front de Gauche, rassemblés dans le programme « Une autre ambition pour le sport français », ont servi de base aux discussions et propositions des assemblées citoyennes qui ont maillé les campagnes les élections présidentielle et législatives, dont le forum central d’Ivry, qui a rassemblé plus de 300 participant-e-s. Déjà à Ivry, le sport continuait d’être traité en « neutre » : le sport des hommes en lieu et place de celui des hommes et des femmes. Ce sont donc les sportives et les femmes elles-mêmes qui ont porté haut et fort leurs exigences d’égalité dans cette nouvelle prise de la Bastille.

En appui sur l’histoire de leurs batailles pour exister et se rencontrer au plus haut niveau, dont Alice Milliat, reste la figure emblématique, les femmes sportives ont repris, dans les débats, les publications, les interventions, y compris dans la presse nationale, le drapeau de leurs exigences. Et elles ont été entendues, écoutées, au point que sport et féminisme commencent à se nourrir mutuellement. La revue « Pour le Sport » a rendu compte des « 24 heures du Morbihan » où la question du sport des femmes a habité l’ensemble des étapes et Nicolas Bonnet m'a demandé de rédiger un article portant sur «  Les femmes à la conquête du sport et de l’égalité » en y ajoutant ce que dit le voile de l’oppression subie. Les colonnes de la Revue du Projet de juin 2012 consacrée aux « Sports, inscrits dans l’Humain d’abord » ont invité Catherine Louveau, sociologue, professeure en STAPS à l’Université de Paris-Orsay, à dire les inégalités et discriminations qui touchent les femmes dans le sport.La journée rencontre du CIDEFE le 28 Juin au siège du CNOSF, à Paris a permis à des sportives de haut niveau d’exprimer leurs frustrations et en contre partie, à des responsables de clubs de handball et de football féminin de dire combien le sport d’équipe des femmes constituait un socle de développement de valeurs plus humaines à promouvoir.

Ce créneau de l’inégalité femmes hommes dans le sport parait d’autant plus indispensable à éradiquer, que, selon Daniel Welzer-Lang ( Les hommes aussi changent ), le club sportif, la cour de récréation, la rue et l’armée sont des espaces de reproduction voire de culture du « virilisme ». Il faut donc s’y attaquer avec d’autant plus de force que la culture du club civil ne reste pas à la porte de l’école. Nina Charlier et moi avons entendu des filles de collèges de Brest en 2004, à l’occasion de la 1ère Biennale de l’égalité organisée en Bretagne, se plaindre des conduites discriminantes des garçons dans les espaces de mixité.

 

Le developpement d'espaces de mixité dans le sport n'est-il pourtant pas une piste à privilégier ?

Colette Bocher :

La mixité n’est pas l’égalité. C’est bien l’égalité qui est à construire. Les sportives ne la construiront pas seules. Bien qu’il soit important que ce territoire du sport des femmes ait ses émergences.

L’importance, à Grenoble avec cet atelier des Estivales Citoyennes, de la présence et de la parole de femmes communistes, sportives et féministes mérite d’être soulignée. Sans doute notre atelier a-t-il été trop perçu par le collectif d’organisation dans son ancrage sportif, et insuffisamment dans sa dimension de conquêtes féministes comme en témoigne, programmé à la même heure, deux portes plus loin, un débat sur « austérité, précarité, les femmes premières touchées ».

Nous avons écouté et rebondi sur toutes les initiatives menées par les clubs de villes, de quartiers, d’entreprises, scolaires, universitaires, les élu-e-s , pour promouvoir le sport et la place des femmes : chaque projet construit une part de l’édifice vers l’universalité des droits et mérite respect et encouragements !

Nous avons dénoncé l’absence de visibilité des sportives dans la presse, la télévision où, tournée la page des JO réapparaît l’hégémonie du foot masculin,et la carence de certaine presse régionale se permettant comme le quotidien Le Télégramme en Bretagne, d’assurer une absence totale de sport féminin, jour après jour.

Nous avons avancé l’idée de notre sortie impérative de la victimisation et mis du relief sur une des propositions issues de la journée du Cidefe : que les sportives deviennent journalistes pour remplacer les journalistes qui prétendent parler du sport ! Nous nous sommes félicité-e-s que les Jeux Olympiques de Londres nous aient apporté, outre l’image valorisée des sports collectifs féminins, basket, hand et foot , les remarquables commentaires d’assistantes comme Yannick Soudré, Valérie Nicolas, Marinette Le Pichon, et de Vanessa Boslak sur le saut à la perche…!

 

Quelles propositions pour poursuivre le combat politique ?

Colette Bocher :

La création d’une mission « Femmes et sports » à solliciter auprès de la Ministre des droits des femmes, s’impose avec approche chiffrée et initiatives décentralisées comme cela a existé, dans le sillage de la mission du Ministère de Marie George Buffet, et féminisation de toutes les instances de décision et de direction des mouvements sportifs et olympiques.

Mais surtout, la conquête de l’espace sportif et sa dévirilisation ne peut faire l’économie de son inscription dans les luttes féministes. De ce point de vue les Estivales Citoyennes ont été très ouvertes à une multitude de collectifs porteurs de combats pour l’égalité des droits dont « Osez le féminisme », « Femmes-égalité ». Nos propositions méritent d’être encore mieux relayées, comme elles le sont par « Femmes solidaires » dans la revue « Clara » . Non seulement on ne lâche rien, mais on prend place dans l’équipe des féministes !

Propos recueillis par François Perez

 

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estivales du Front de Gauche : entretien croisé Colette Bocher et Nina Charlier

le 09 septembre 2012

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